Les bottiers sur mesure, de l'ombre à la lumière

Hugo JACOMET
28/1/2013
Les bottiers sur mesure, de l'ombre à la lumière

Gentlemen,

pour les besoins de PG et de quelques magazines dans lesquels j'interviens désormais fréquemment, j'ai pris l'habitude, chaque dimanche, de consacrer quelques heures UNIQUEMENT à la recherche de "pépites" de l'art bottier mondial. Et même si je peux, je crois, affirmer être un observateur avisé de ce domaine, ce dernier est tellement dynamique actuellement que chaque dimanche je découvre un nombre impressionnant d'artisans inconnus, de maisons microscopiques et confidentielles, et de créations parfois époustouflantes...

Ce dynamisme nouveau du marché du soulier masculin en prêt-à-porter mais aussi le regain d'intérêt indiscutable pour la Grande Mesure (le bespoke), m'incitent aujourd'hui à aborder un sujet qui me préoccupe depuis un certain moment et que je décide donc d'ouvrir (et certainement pas de couvrir) pour la première fois ici : celui de l'image et du "statut" de ces artisans/artistes qui, malgré l'attention et l'admiration nouvelles dont ils font objectivement de plus en plus l'objet, restent très largement mésestimés si on les compare à d'autres métiers "artistico-artisanaux" comme, par exemple, les designers de meubles contemporains qui sont, de leur côté, adulés et hyper-médiatisés.

Alors bien sûr, la comparaison pourrait sembler surprenante car il y a sans doute plus qu'un monde d'écart entre Philippe Starck, Ron Arad ou Pierre Paulin et Pierre Corthay, Tony Gaziano ou Lazlo Vass. Pourtant les deux disciplines partagent certains fondamentaux comme le travail de la forme (de l'esthétique) au service de la fonction (du confort, de la durabilité), l'objet comme vecteur d'expériences physiques mais aussi émotionnelles et la création de formes originales qui, après être devenues des classiques, sont ré-éditées en version prêt-à-porter.

Pourquoi donc les bottiers, ces sculpteurs de formes complexes et sophistiquées dont certaines n'ont rien à envier aux créations immaculées d'un Fronzoni ou d'un Paulin, restent-ils donc globalement dans l'ombre même s'ils bénéficient, depuis peu, d'un sursaut, timide mais salutaire, de considération ?

Et alors que dans un secteur en pleine croissance, il ne se passe pas un mois sans qu'une nouvelle maison de souliers masculin significative  ne voit le jour, le temps n'est-il pas venu de réparer cette injustice et de prendre le temps de célébrer enfin ces artisans/artistes de l'ombre qui oeuvrent chaque jour discrètement à la fabrication de certaines pièces pouvant aisément être qualifiées de chefs d'oeuvre ?

Images : Bestetti, Gaziano and Girling, Dimitri Gomez, Bestetti, Corthay.

Avec ces images magnifiques et les savoir-faire évidents à l'oeuvre en arrière plan, on comprend très vite que l'enjeu derrière ce nécessaire renouveau de l'image de ce métier d'exception n'est pas qu'un "simple" enjeu de communication et encore moins un enjeu vulgaire de "peoplisation". Non.

Quand on regarde ces prises de vue, dont certaines sont capables de toucher un public beaucoup plus large que les seuls adeptes du "shoe porn", on comprend que leur large diffusion est la clé de voute du regain d'intérêt des hommes pour les chaussures de qualité. En d'autres termes, c'est grâce à la diffusion de telles beautés que de très nombreux hommes s'intéressent ou se ré-intéressent enfin aux beaux souliers, même si ces créations emblématiques en grande mesure restent, évidemment, inaccessibles pour le plus grand nombre d'entre nous.

Le levier est donc toujours le même  : c'est avec des images d'Aston Martin que l'on créé une nouvelle génération de passionnés de voitures, même si ces derniers n'auront, en grande majorité, jamais les moyens de s'offrir ce ce que beaucoup considèrent comme la quintessence du design et de la qualité automobile.

L'enjeu est donc un enjeu de marché avant d'être un enjeu de marques et de personnalités. Il s'agit de prendre appui sur la notoriété nouvelle et méritée de ces artistes, pour faire en sorte que le grand public s'intéresse de nouveau, non seulement aux produits, mais aussi aux savoir-faire à l'oeuvre dans leur fabrication.

Et c'est par ce chemin visant enfin à valoriser la beauté des gestes traditionnels, et uniquement par celui-ci, que nous aiderons les hommes à mieux apprécier la qualité des produits de tradition et, par rebond, à accepter d'en payer le prix juste. Cette nouvelle génération de consommateurs de beaux souliers permettrait ainsi à des entreprises de continuer à fabriquer ces derniers dans les règles de l'art (et pourquoi pas sous nos cieux), ces dernières pouvant enfin offrir aux jeunes générations des métiers valorisants, à l'image rénovée et de vraies carrières dans un secteur noble et en pleine révolution.

Bien entendu, ce scénario idéal n'en est encore aujourd'hui qu'à ses prémices et il faudra sans doute encore quelques années avant qu'il ne produise les effets décrits ci-dessus. Mais la voie est clairement ouverte et dégagée.

Et quand on regarde, à titre d'exemple, les magnifiques prises de vues ci-dessous réalisées par Andy Julia pour PG avec quelques modèles mesure de la Maison Corthay, on ne peut s'empêcher de se dire qu'avec de telles beautés, l'industrie du soulier masculin de qualité a un bel avenir devant elle...

Que la lumière soit !

Cheers, HUGO

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