First learn the rules, then break them

Hugo JACOMET
17/2/2013
First learn the rules, then break them

Gentlemen,

si vous suivez PG depuis quelques temps, vous avez du remarquer que notre ligne éditoriale s’est, au fil des mois et des années, lentement mais surement, affinée et précisée pour finalement se démarquer, nous l’espérons radicalement, de l’avalanche de blogs, pages Tumblr, Pinterest et autres sites de « re-post » qui déferle actuellement sur la toile.

En effet, si cet engouement planétaire nouveau pour les épaules napolitaines, les cravates sept plis à l’ancienne, les souliers à lisses-rondes externes et les mouchoirs roulottés main n’est bien sûr pas pour nous déplaire (il est toujours plus agréable de prêcher sur la place du marché – même encombrée de philistins aboyeurs – que dans le désert), nous ne pouvons cependant réprimer, au visionnage (à défaut de lecture) de certains de ces fourre tout soit disant sartoriaux, de nombreux éclats de rires ainsi que, avouons le, quelques soupirs de dépit.

Car entre les « blogs » qui se contentent de re-poster en rafale – bientôt à la vitesse des ordres de bourse automatisés ? – des milliers de photos sans même faire l’effort d’une légende ou d’un lien et ceux dont les propriétaires névrosés exhibent les coutures de leurs chaussettes ou les gouttes de leurs cravates dans des coming-out sartoriaux quotidiens et drolatiques, nous avons eu l’impression, récemment, de reprendre le maquis et d’entrer de nouveau, paradoxalement, en résistance…

Il y a 4 ans, lorsque j’ai écrit les premiers mots de ce qui allait devenir PG, je me souviens avoir inclus, en parfait « écrivain infirme à la recherche de béquilles » (Paul Morand), une citation de Jean Cocteau qui disait : « souvenez vous que c’est l’homme qui est remarquable et remarqué, jamais ses vêtements. » Vous noterez ici mon goût pour les béquilles de qualité…

1007 articles en 7 langues plus tard, nous ne pouvons que définitivement souscrire à cette maxime que nous avons, depuis 4 ans, soumise à l’épreuve de la vraie vie et qui n’a fait que confirmer en permanence sa pertinence superbe (son « hypertinence » ?) : le sujet de l’élégance masculine tel que nous l’envisageons ici ne peut en effet être traité de manière satisfaisante  que s’il dépasse très largement le sujet des tissus super 180S, des boutons en nacre et des crans tailleur, même si une connaissance « technique » de ces derniers peut s’avérer, évidemment, utile pour les plus passionnés d’entre nous.

Ou pour le dire différemment, le vestiaire masculin envisagé frontalement, sans aucun effort de mise en perspective de son utilité sociale évidente et de son rôle de puissant medium pouvant influencer fortement les perceptions (et donc les interactions entre les Hommes), est inintéressant, ennuyeux, banal pour ne pas dire, à certains égards, grotesque.

J’ai d’ailleurs eu, par chance, une passionnante conversation impromptue à ce sujet la semaine dernière avec Joe Morgan, maître tailleur émérite de la Maison Chittleborough & Morgan (12, Savile Row), un homme passionné, exalté et habité par l’héritage stylistique de Tommy Nutter, dont il fut l’un des employés avec son complice de toujours Ray Chittleborough. Il m’avouait sur le ton de la confidence (vous savez, ce genre de conciliabule entendu entre deux « affranchis » ) que le style n’avait, je le cite,  « que peu de choses à voir avec les vêtements, mais tout à voir avec la liberté d’expression et l’intelligence de situation ».

Ce à quoi nous ne pouvons que souscrire et nous empresser d’ajouter qu’en matière de style personnel comme dans la vie, le tout est plus que la somme des parties et que les choses cruciales se situent, comme le dit si bien l’étonnante Marie Hélène Lafon (auteur d’ouvrages magistraux sur le monde paysan), au plus juste, dans le détail, aux « interstices » des choses. Autrement dit, c’est dans les détails, aussi bien visuels que comportementaux, que le style, lui aussi, surgit, comme par surprise.

Comme nous l’évoquions déjà il y a deux ans, à la faveur d’un article tiré des travaux de Bruce G. Boyer, c’est précisément le sens de la facilité dans le détail qui fait tout.  Un homme qui s’efforce de suivre avec orthodoxie les règles supposées (qui ne sont au mieux que des conventions), qui a besoin du regard d’autrui pour valider la justesse de ses goûts et qui, par exemple, coordonne toutes les couleurs qu’il porte est, selon nous, quelqu’un qui en fait de toute évidence trop, car ce sont ses efforts plutôt que son talent qu’il expose.

Au final, le secret réside dans l’interaction subtile des petits détails entre eux. C’est ce que nous appellerons librement ici « l’intelligence sartoriale » en opposition à l’obsession vestimentaire de certains.

Et si aujourd’hui nous avons fait le choix délibéré d’utiliser en en-tête de cet article une formule en langue Anglaise, ce n’est pas par fainéantise ni par envie de provocation, mais bien parce ce que cette formule dit EXACTEMENT ce que nous voulons dire chez PG et ce qu’aucune traduction ne pourrait rendre avec autant de finesse : l’entreprise consistant à trouver des espaces de liberté (du style, du « flair » comme disent nos amis anglais) dans un univers très codifié. « First learn the rules, then break them », oui, plus que jamais mais uniquement dans cette chronologie.

Dans la vie, connaître et savoir jouer avec les règles en les dépassant quand il s’avère nécessaire de le faire, est crucial et peut produire, comme le disent les anglo-saxons, de juteux dividendes.

C’est la même chose en matière d’élégance personnelle et donc, de respect de soi-même et des autres.

Dernier exemple en date pour illustrer notre propos : une situation plutôt complexe dans laquelle je me suis personnellement trouvé, la semaine dernière, à Londres et de laquelle je pense m’être plutôt bien sorti uniquement en me remémorant certaines règles fondamentales d’étiquette et parvenant, en pleine conscience, à les contourner.

La situation : nous arrivons, ma compagne et moi-même, à Londres pour participer au dîner de la BTBA (British Tailors Benevolent Association) et allons rendre visite dans l’après-midi à nos hôtes, Michael et William Skinner de la maison Dege & Skinner, 10 Savile Row. Là, nous apprenons que, contrairement à ce que nous pensions, le code vestimentaire de la soirée est strictement « black tie » (donc une soirée formelle : dinner jacket pour les hommes et robe de cocktail pour les dames). Problème : je n’ai apporté avec moi « que » deux costumes bespoke (un croisé et un trois pièces) et une veste sport bespoke gansée à poches plaquées (les trois de la maison Cifonelli). Pas la moindre de trace de dinner ou de smoking  jacket, de ceinture de soie (cummerbund) et encore moins de noeud papillon noir.

Heureusement pour nous, nous avons trois atouts majeurs dans notre « manche » alors qu’il nous reste exactement 2 heures pour trouver une solution :

– Premièrement ma compagne a apporté les bonnes robes (tellement plus aisées à transporter que les costumes !) et le problème ne concerne donc que ma personne. Ouf !

– Deuxièmement, nous ne pouvons pas être au meilleur endroit sur la planète pour résoudre le problème : notre hôtel – le Dukes – est situé à la jonction entre Jermyn Street et St James Street, soit en pleine City of Mayfair et à cinq minutes de Savile Row.

– Et troisièmement, je pense posséder une connaissance suffisamment pointue des règles sartoriales pour trouver une issue honorable à cette situation plutôt embarrassante… surtout lorsque les 250 participants à la soirée sont TOUS des professionnels du Bespoke Tailoring du plus haut niveau, que vous êtes l’un des rares « outsiders » invité pour l’occasion et que vous êtes installé, pour couronner le tout, à la table de Michael Skinner qui est, à tous égards, une véritable figure dans cette communauté. Tout pour passer inaperçu donc…

16H30 : après dix minutes de réflexion, je récapitule les quelques règles que nous devons à la fois respecter et dépasser.

Première règle, le code black tie et l’utilisation normée de la couleur noire pour les hommes est fondée sur une « obligation » de sobriété et de discrétion, dans le but de mettre à l’honneur épouses et concubines. Cette règle est donc en ma faveur car, de facto, je vais m’efforcer d’être le plus discret possible et de m’effacer au profit de ma compagne (ce qui, je l’avoue, n’est pas difficile…) Le chalenge est donc à la fois simple et terriblement complexe, surtout lorsque la seule veste pouvant é-ven-tu-elle-ment faire office de dinner jacket est… une veste sport grise à poches plaquées ! Heureusement, je porte ce jour une paire de Corthay Vendôme noires à passepoils dorés, correctement cirée, ce qui m’enlève au moins le souci des souliers…

16H40 : nous décidons de prendre les choses en main en fonçant chez Turnbull & Asser pour y faire l’acquisition d’une chemise de soirée (que je choisis blanche avec un plastron assez souple, sans plis, et col classique) et d’un noeud papillon noir classique (à nouer soi-même évidemment.)

Au moins l’essentiel est désormais assuré car j’ai également eu le « flair » de glisser dans ma valise LE pantalon qui m’accompagne partout, quelles que soient les occasions, les destinations et mêmes les climats : un simple pantalon noir Cifonelli Bespoke, sans revers et sans passants de ceinture. Votre meilleur ami en cas de coup dur.

Il me reste moins d’une heure (la soirée commençant à 18H30) et quelques décisions à prendre : Mouchoir ? Montre ? Fleur ?

Je réfléchis : Il est clair que ma veste sport gansée est ma seule option. Mais comme elle est montée avec une poche poitrine plaquée (donc dans un esprit plus casual qu’une poche poitrine classique), je décide de faire l’impasse sur le mouchoir afin de ne pas attirer l’attention sur cette poche au demeurant très jolie, mais particulièrement inadaptée à la soirée…

Même chose pour la fleur. Comme je vais participer à une soirée formelle sans revers gansé de soie ni col châle, je joue, là encore, la carte de la discrétion. Donc pas de fleur.

Je continue à réfléchir et je décide de ne pas mettre de montre pour, cette fois-ci, suivre la règle à la lettre : je me souviens qu’il est en effet très mal vu de porter une montre « visible » lors de telles soirées, car vous devez, à l’inverse,  montrer à vos hôtes que leur soirée est belle et qu’en conséquence, l’heure n’a pas d’importance… Les codes, nous le constatons ici, ne sont donc pas uniquement de stupides carcans conventionnels, mais peuvent aussi influer positivement sur notre relation à autrui. C’est la même chose pour la délicieuse tradition, de nos jours oubliée et que j’aime à faire perdurer à titre personnel, du mouchoir (roulotté main évidemment) glissé dans la poche et sorti, à bon escient, pour aider une dame en proie à une quinte de toux ou à une émotion mal maîtrisée.

A 18 heures précises, nous sortons de l’hôtel et montons dans notre taxi. Je me sens bien. Ma compagne est superbe et j’ai l’impression, pour ma part, d’avoir fait mon maximum pour lui rendre grâce, comme c’est l’usage dans une soirée black tie.

Le reste est une affaire de posture, de confiance en soi et de gestes appropriés en fonction des situations et de la compagnie. Rien de bien compliqué, à dire vrai, surtout dans cette communauté du Bespoke tailoring Britannique, certes respectueuse des traditions et de l’étiquette, mais par ailleurs terriblement sympathique et accueillante.

Voyez le « résultat » ci dessous (merci de faire abstraction du tiraillement de ma veste sur la seconde prise de vue, du au fait que je tiens mes deux amis par les épaules), en compagnie de William Skinner puis de Michael et William Skinner.

© Luke Carby for The Rake.

Alors bien entendu, il est toujours difficile de se citer en exemple et mon jugement est donc, en l’occurrence, peut-être plus subjectif que jamais…Mais il me semble à tout le moins avoir réussi à respecter quelques fondamentaux qui m’ont permis de passer une excellente soirée en étant parfaitement à mon aise en compagnie de gens délicieux et particulièrement joviaux.

Au delà de l’intérêt, somme toute limité, de ma petite histoire personnelle, je pense que cet exemple illustre bien ce que mes amis Anglais ont qualifié, avec une indulgence toute Britannique,de « French Flair ». En réalité, ce « flair », s’il existe, est d’abord composé d’une bonne dose d’éducation sartoriale qui, lorsqu’elle est utilisée à bon escient, vous permettra toujours d’être au meilleur de vous-mêmes, ce qui est déjà énorme…

Bien sûr, vous pourriez prendre tout cela pour du simple bavardage érudit. Pourtant, il nous semble que l’ambition d’être en permanence au meilleur de soi-même (ce qui ne veut en aucun cas dire être guindé ou même sophistiqué) est une saine ambition, à laquelle l’excellence vestimentaire participe, à notre avis, dans une … grande mesure.

Chez Parisian Gentleman, nous n’avons pas pour ambition de faire de vous des experts des boutons en nacre ou des crans tailleurs, même s’il nous arrive, vous le savez, de publier des articles très techniques destinés aux plus gentlemen les plus « hardcore » d’entre vous.

En revanche, si nous pouvons humblement vous aider à développer votre éducation vestimentaire, et donc votre confiance en vos propres goûts, tout en vous permettant à votre « flair » de s’exprimer de plus en plus, alors nous serons amplement récompensés de l’énorme travail que nous consacrons, depuis 4 ans, à développer PG.

Cheers, HUGO

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