Les cravates Boivin : un secret bien gardé

Adriano DIRNELLI
8/9/2014
Les cravates Boivin : un secret bien gardé

Nous levons le voile aujourd’hui sur un secret très bien gardé: les cravates Boivin, dont vous possédez certainement quelques modèles sans le savoir.

La société, à taille humaine, produit en effet exclusivement en « marque blanche » et vit donc cachée derrière des marques et des boutiques célèbres pour lesquelles elle fabrique des cravates portant leurs propres griffes.

La maison Boivin est donc très connue des professionnels, mais encore très peu du grand public.

La micro-entreprise, fondée en 1920, est l’un des tous derniers fabricants traditionnels de cravates existant encore en France. Toutes les cravates Boivin sont encore coupées et montées à la main, dans un petit atelier en étage à Paris.

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A la demande de Boivin, qui a bien voulu nous accorder cette interview rare, nous avons accepté de ne pas citer les noms des marques pour lesquelles elle fabrique. Par conséquent, nous nous contenterons simplement d’observer que les cravates Boivin sont  présentes dans toutes les meilleures boutiques de Paris. Recherchez une étiquette grise avec la mention « Fabriqué à la main en France »…

Si nous avons choisi de mettre en lumière Boivin aujourd’hui, c’est parce que nous lui prévoyons un fabuleux destin, comparable à celui de la récente mise sur orbite de Simonnot Godard, le fabricant historique de mouchoirs de poche roulottés à la main en Cambrésis, initialement connu uniquement des professionnels, mais qui, sous l’impulsion de Benjamin Simonnot et de quelques élégants « early adopters » est désormais maintenant distribué sous son propre nom dans les enseignes les plus prestigieuses dans le monde comme Barneys à New York, Degand à Bruxelles ou The Armoury à Hong Kong.

Dans le prolongement de l’engouement actuel pour les marques artisanales de luxe, la notoriété de Boivin commence tout juste à sortir de l’Hexagone.

Ce nouveau tournant dans l’histoire Boivin semble d’ailleurs d’actualité, puisque l’auguste maison de la rue de Réamur vient tout juste d’être rachetée, en janvier 2014, par la famille Gillier qui, dans le passé, fut à l’origine du blockbuster Zadig & Voltaire.

Nous avons ainsi rencontré la nouvelle gérante de Boivin, Anne Gillier, pour savoir quelles étaient ses ambitions de développement pour la maison parisienne.

Adriano Dirnelli : En tant que nouvelle propriétaire de Boivin, quel regard portez-vous sur cette maison historique et discrète  ?

Anne Gillier : Ce qui est fabuleux c’est que malgré sa grande notoriété parmi les professionnels, Boivin reste une toute petite entité. L’entreprise est microscopique, puisque ne travaillent ici avec moi que Brigitte (le pillier de la maison depuis 40 ans), deux coupeuses, deux couturières ainsi que quatre autres couturières à domicile. Soient neuf personnes en tout et pour tout.

Ce qui m’a séduit ici, la première fois que j’ai poussé la porte, c’est que le temps est littéralement suspendu.

Boivin, c’est un petit bijou d’entreprise qui fabrique depuis presque un siècle pour le compte de très grandes et très belles maisons. Tout est fait à la main avec précaution et avec beaucoup d’amour.

Donc nous allons évidemment conserver Boivin telle quelle et ne rien modifier aux méthodes et à l’esprit uniquement artisanal de la maison, et bien entendu continuer à fournir les plus belles maisons françaises dédiées à l’élégance classique.

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Adriano Dirnelli : Avec quels types de tissus travaillez-vous et quelles sont leurs provenances  ?

Anne Gillier : Nous créons deux collections par an. Je choisis moi-même les tissus dans les soieries de la région de Côme (capitale de la soie en Italie — ndla).

Nous proposons plusieurs types de soies. D’abord les tissus unis, les basiques, les permanents. Puis les soies lourdes, avec des imprimés plus ou moins gros (même si nous avons  tendance à privilégier les petits imprimés.) Ensuite les twill, ces soies beaucoup plus légères qui sont utilisées pour les ascots ou les nœuds papillons. Et enfin les madères, un peu plus épaisses, au toucher beaucoup plus soyeux et plus noble. Avec toutes ces soies nous fabriquons aussi bien des cravates que des noeuds papillon, des ascots, des pochettes, des écharpes ou des robes de chambre.

Adriano Dirnelli : Vous ne travaillez donc aucune soie en provenance d’Angleterre ?

Anne Gillier : Par le passé la maison Boivin travaillait avec les soieries anglaises, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ceci étant, il faudrait peut-être que j’aille faire un tour en Angleterre, pour me rendre compte. Votre ami Réginald-Jérôme de Mans, avec sa connaissance encyclopédique de tous les fabricants, m’a donné une belle liste de fournisseurs potentiels à visiter lors de mon prochain voyage en Angleterre.

Adriano Dirnelli : Selon vous, qu’est ce qui distingue une cravate Boivin des autres ?

Anne Gillier : Le toucher de nos cravates. Les connaisseurs ne s’y trompent pas, même si je me rends compte qu’il ne reste plus beaucoup de vrais connaisseurs de cravates de nos jours.

Au fur et à mesure que j’avance dans le métier, quand je discute avec certaines maisons, on me répond hélas : « Vous savez, les gens n’en ont rien à faire, fait à la main ou pas fait à la main, cela reste une cravate… » Mais au toucher, déjà, nos cravates sont différentes : elles respirent la qualité et cela est autant du à la qualité de la soie qu’à la qualité des triplures.

Adriano Dirnelli : C’est vrai que vos cravates ont toujours une belle main. Vous n’avez pas été séduite par la vogue actuelle des cravates légères non-doublées ?

Anne Gillier : Vous voulez parler des cravates exagérément fines et légères? Non, pas du tout. Cette « tendance », comme on dit de nos jours, ne nous intéresse pas.

Nous offrons cependant certains modèles de cravates sept plis, mais la demande reste limitée.

Je pense que certaines boutiques en commandent uniquement pour le prestige et pour pouvoir communiquer sur le fait qu’elles possèdent des sept plis.

En outre, je me suis rendu compte que lorsqu’on cherche à proposer des produits originaux,  ce ne sont pas forcément ces derniers que la grande majorité des clients choisissent. Les cravates classiques (notamment bleues) restent, de loin, nos meilleures ventes.

Adriano Dirnelli : Vous affirmez ne rien vouloir changer chez Boivin, mais pour autant avez vous des projets de développement ?

Anne Gillier : Même si notre coeur de métier restera la fabrication pour le compte de grandes maisons, je songe éventuellement à développer à terme la vente aux particuliers, même si je ne le ferai que sous certaines conditions.

J’aimerais bien, à terme, trouver un petit atelier en fond de cour, un endroit un peu privilégié, un peu secret, pour pouvoir y accueillir des particuliers et leur faire connaître Boivin.

Je ne vise pas forcément la vente sur internet mais quelque chose de plus haut de gamme, de plus exclusif comme par exemple la possibilité de proposer des cravates sur-mesures avec un choix de tissu très important.

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Nous avons en permanence entre mille et deux mille tissus à proposer. Ce stock, conservé dans nos cinq caves, est d’ailleurs tellement énorme que je suis moi-même incapable de vous dire combien de tissus différents il représente.

Toutes les photos © Dirnelli

Pour plus de photos voir : A Visit to Boivin

Adriano Dirnelli (http://dirnelli.tumblr.com)

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