Événement 21 micron : Vitale Barberis Canonico prend l'initiative

Hugo JACOMET
13/7/2016
Événement 21 micron : Vitale Barberis Canonico prend l'initiative

Le 15 juin dernier, pendant le Pitti Uomo, Vitale Barberis Canonico organisait un grand événement en plein centre de Florence (et en plein air) sur la superbe Loggia del Porcellino en partenariat avec la célèbre boutique florentine Eredi Chiarini.

Le titre de cet événement très "chic" auquel - quasiment - tout le métier a participé était pour le moins surprenant et, à dessein, provocateur : 21 Micron.

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Evidemment, les profanes (et ils sont nombreux au Pitti Uomo), ou les personnes pas encore complètement rompues au jargon et aux codes du tissu haut de gamme, pensaient sans doute, en l'occurence à tort,  participer au énième événement à la gloire de la finesse d'une laine tissée par l'une des plus vieilles filatures au monde...

Il faut dire qu'il était facile de se méprendre tant nous assistons, depuis près d'une décennie, à une véritable course à l'armement en matière de tissus "Super" dans laquelle les grandes filatures de laine italiennes se livrent une bataille acharnée pour produire, promouvoir et vendre (à prix d'or) des tissus de plus en plus fins, de plus en plus précieux, mais aussi, de plus en fragiles : Super 200s, Super 220s, Super 240s et ainsi de suite.

Nous nous sommes souvent exprimé dans les colonnes de PG sur ce sujet qui fait débat (doux euphémisme) et qui divise bon nombre d'amateurs et de connaisseurs. Notre célèbre contributeur Dirnelli, a même écrit sur le sujet coup sur coup deux articles plutôt contradictoires dans lequel il dénonçait, dans le premier, la manipulation marketing des grands drapiers (voir l'article intitulé Super 100s, Super 200s, le grand mythe) avant de reconnaître, dans le second, certaines qualités indéniables aux "chiffres élevés" en matière de patine et de rendu visuel (voir l'article intitulé Les tissus Super 180s et au delà).

Avant de commenter l'initiative (par ailleurs excellente) de VBC dans le domaine, avec la campagne "21 Micron" qui vient précisément prendre le contre-pied de cette course à la finesse à tout prix, nous profitons de l'occasion pour rappeler ici, pour les nouveaux-venus sur PG, quelques fondamentaux (issus de l'excellent article de Paul Grassart paru en 2010 sur PG).

Que signifie le mot "Super" ?

La classification en « Super » désigne uniquement la finesse des fibres de laine, c’est à dire leur diamètre moyen. Donc plus le numéro de « Super » est élevé, plus la fibre est fine. Le diamètre des fibres se mesure en micron (un millionième de mètre, c’est à dire qu’il y a 1000 microns dans un millimètre). A titre de comparaison, un cheveu humain fait 50 à 60 microns.

L’organisation internationale des textiles de laine (International Wool Textile Organisation, connue pour son label « Woolmark ») a codifié les Supers selon l’échelle suivante :

L’origine des Supers

A travers le temps, et dans les différents pays, la classification de la laine s’est faite selon divers systèmes. Les Supers sont les héritiers du système de Bradford, aussi appelé English Worsted Yarn Count System, Spinning count ou Bradford count. Nous parlons donc ici uniquement de la laine peignée car, pour complexifier encore un peu plus le sujet, la laine cardée, woolen, a un autre système de classification !

Les experts lainiers de la ville de Bradford évaluaient la laine (à l’oeil et au touché) en estimant le nombre d’écheveaux de 560 yards (soient 500 mètres en un seul fil) pouvant être produits par un filateur expérimenté à partir d’une livre de « top ». Le « top » est de la laine lavée, cardée et peignée, dont toutes les fibres sont alignées, prête donc à être filée.

On parlait ainsi de laine de qualité 36s, 44s, etc. C’est d'ailleurs de ce système que vient le petit « s » dans Super 100s. C’est l’abréviation de « skein » (écheveau). Les laines les plus fines atteignaient les 80s (80 écheveaux soit plus de 40 km de fil à partir d’une seule livre de laine !).

Le premier « plafond » de ce système était le 80s, qui était qualifié de laine fine. Lorsque l'on a réussi, plus tard, à produire des laines atteignant les 100 écheveaux (donc 50 km de fil avec une seule livre de laine)  on estimait avoir obtenu une qualité exceptionnelle. Cette laine extra-fine s’est donc vue qualifiée de « super-fine », ou « Super 100s». C'est l'origine du fameux "Super" dont on nous rebat les oreilles depuis quelques années.

A titre de comparaison avec les Supers, voici les diamètres des différentes qualités :

Comme vous le constatez, ce tableau fait aussi mention du « blood system ». Il s'agit d'une classification américaine, qui remonte à l’introduction dans le Nouveau Monde du mouton mérinos, réputé pour produire la plus fine des laines parmi toutes les races de moutons. Pour augmenter la taille du cheptel, le mérinos était croisé avec d’autres races déjà élevées localement. Lorsqu’il était « pur sang », sa laine était qualifiée de « fine ». Le croisement avec une autre race en diminuait la finesse, et selon le degré de croisement, on avait les qualités « demi-sang », « 3/8 de sang », « quart de sang », etc.

Ce qui est important de noter pour notre propos (et celui de Vitale Barberis Canonico) c'est que la finesse n'est en réalité qu'une des composantes de la qualité d'une laine. La race du mouton fait également partie des critères fondamentaux de qualité de la laine. Voici, pour être - presque - complets, les caractéristiques de la laine produite par les principales espèces de moutons lainiers (c’est à dire les races élevées pour leur toison, et non pour leur viande) :

La course à la finesse

Depuis que le marketing des marchands drapiers (et de la confection) s’est emparé des Supers comme argument de vente, on assiste à une course effrénée à la finesse. Les enchères s’envolent sur les balles de la meilleure qualité, et les prix crèvent les plafonds. Les grands acteurs de cette compétition sont les Italiens Loro Piana et Ermenegildo Zegna, qui organisent même des concours pour récompenser les éleveurs ayant produit la laine la plus fine.

On s’en doute, cette course à la laine toujours plus fine ne pourra pas se prolonger éternellement car nous atteignons désormais les limites de ce que l’animal peut produire. Rappelons que, naturellement, le mouton mérinos produit des fibres en 80s, et qu'il ne sera guère possible de progresser encore beaucoup dans des conditions d’élevage "normales".

Pour bien comprendre cette stratégie des grandes filatures, il convient également d'ajouter que cette course aux chiffres élevés répondait à un besoin crucial : il s'agissait pour les Italiens et les Britanniques de rester à la pointe de la finesse afin de conserver une avance concurrentielle sur leurs nouveaux compétiteurs venus de Chine ou d'Inde. Cette avance a évidemment fondu comme neige au soleil : la Chine file de nos jours plus d'un tiers de la laine mondiale et est devenu le premier client des fermes Australiennes et Néo-Zélandaises avec des usines produisant désormais des fibres également très fines (Super 180s, Super 200s).

Une laine de qualité plus fine est-elle une laine de meilleure qualité ?

C'est à cette question fondamentale que Vitale Barberis Canonico a décidé de répondre par la négative avec son initiative "21 micron". Le message de VBC est simple : il s'agit de remettre la réelle qualité du tissu au centre du débat et d'oublier un instant ces histoires de Super XXXs. Il s'agit également de montrer que le caractère, la performance, la durabilité et la résistance à la froissure d'un tissu peuvent parfois plaider pour l'utilisation de fibres plus épaisses, plus "pleines" (full bodied).

VBC Blue Hopsack
VBC SS 2017

Chez PG, nous sommes plutôt d'accord avec cette démarche car, nous l’avons vu, la qualité d’une laine s’analyse selon bien d’autres critères que la seule finesse des fibres.

Car nous ne portons pas sur le dos une toison brute, mais un vêtement fabriqué avec du tissu. Or, entre la fibre et le tissu, le chemin est très long et très complexe : la fibre est lavée, cardée, peignée, défeutrée, teinte, puis filée, et enfin tissée. Le tissu sorti du métier n’est cependant pas achevé, car il va lui-même subir un certain nombre de traitements de finition, dont un nouveau lavage (on conserve dans le fil « brut » une partie de la lanoline naturelle de la laine, qui aide au tissage), un rétrécissement plus ou moins important, des traitements destinés à changer son toucher, un éventuel foulage, pour le feutrer de manière plus ou moins importante, etc.

Toutes ces étapes sont capitales pour l’obtention du résultat souhaité en terme de « main ». La finesse des fibres n’est donc que l’un des multiples facteurs entrant en ligne de compte dans la qualité objective d'une laine. C'est la raison pour laquelle certains tissus VBC utilisant des fibres de 21 micron - donc des tissus qui ne sont même pas des "Super" - comme le  "4 Ply Twist Spring", le "Country Weave" ou encore, le célèbre "Hopsack" (que nous adorons chez PG), offrent non seulement une très belle main, mais également de belles qualités visuelles et stylistiques sans les (gros) défauts des laines très fines : un tissu qui marque rapidement au niveau des genoux et des coudes, une tendance à se froisser très vite et une vraie fragilité qui demande une attention de chaque instant.

A une époque où les consommateurs s'éduquent de plus en plus sur le sujet et où les particuliers re-découvrent, avec la montée en puissance du sur-mesure (même industriel), les joies liées au choix d'un tissu, nous apprécions la démarche de nos amis de VBC qui, s'ils ne remettent pas en cause l'aspect exclusif de certains tissus à chiffres élevés, rappellent qu'il n'est pas nécessaire d'investir des fortunes pour accéder à des tissus haut de gamme et adaptés aux besoins de chacun.

Dont acte.

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